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Accès à la profession des entrepreneurs: Quelles conséquences sur la validité du contrat d’entreprise ?

1. Aperçu de la législation en vigueur

En Belgique, la loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante, impose à toute PME qui souhaite exercer, en personne physique ou morale, une activité pour laquelle une inscription à la Banque Carrefour des Entreprises est nécessaire, de démontrer ses connaissances de gestion de base.
Les PME qui souhaitent exercer une profession réglementée doivent en outre fournir la preuve de leurs compétences professionnelles spécifiques.
S’agissant des entreprises actives dans le secteur de la construction, l’Arrêté Royal du 29 janvier 2007 « relatif à la capacité professionnelle pour l'exercice des activités indépendantes dans les métiers de la construction et de l'électrotechnique, ainsi que de l'entreprise générale » dresse la liste des activités réglementées pour lesquelles il doit être justifié d’un accès à la profession.
Ces activités sont regroupées selon les 9 catégories suivantes :

La preuve de ces compétences est rapportée soit par un titre (attestation, diplôme, certificat etc…), soit par une pratique professionnelle suffisante.
Il importe de ne pas confondre les dispositions légales qui réglementent l’accès à la profession, avec celles relatives à l’enregistrement qui assure le recouvrement des dettes sociales et fiscales des entrepreneurs, ou encore celles relatives à l’agréation qui permet aux entrepreneurs d’accéder au secteur des marchés publics.
Enfin, il est à noter que depuis le 1er janvier 2019, les entrepreneurs établis en Flandre ne sont plus tenus de disposer des accès à la profession pour exercer une activité dans le secteur de la construction, contrairement à ce qui prévaut toujours en Région de Bruxelles-Capitale et en Région Wallonne où aucune modification de la législation n’a, pour l’heure, été enregistrée.

2. L’accès à la profession des entrepreneurs : en pratique

L'entrepreneur qui, à l’occasion de travaux de construction ou de rénovation, est amené à exécuter diverses activités règlementées, doit pouvoir justifier d'un accès à la profession spécifique pour chacun des travaux qu’il exécute [1].
L’accès à la profession est exigé non seulement dans le chef de l’entrepreneur général en tant que tel, mais aussi dans le chef de ses sous-traitants.
Lors d’un arrêt du 27 septembre 2018, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que la licéité d’une convention s’apprécie au moment de sa conclusion, avec pour conséquence que l’entrepreneur doit être titulaire des accès à la profession requis à la date de la formation du contrat, et non simplement lors de l’exécution des travaux [2].
Partant, une régularisation de la situation par obtention ultérieure des autorisations manquantes ne sera pas recevable et ne permettra donc pas à l’entrepreneur d’échapper aux sanctions prévues par la loi.
Le maître de l’ouvrage qui entend exécuter des travaux repris à l’article 1 de l’arrêté royal du 29 janvier 2007 sera donc toujours bien avisé de vérifier, avant la conclusion du contrat, si l’entrepreneur dispose des accès requis en consultant le registre de la Banque Carrefour des Entreprises, lequel renseigne les qualifications et compétences reconnues, ainsi que la date d’obtention des accès.

3. Absence d’accès à la profession : quelles sont les sanctions encourues ?

Les dispositions légales régissant les règles d’accès à la profession sont d’ordre public.
Il en résulte que les parties ne peuvent y déroger, même d’un commun accord, tandis que le juge est tenu d’en soulever d’office la violation et de prononcer les sanctions qui s’y attachent.
A cet égard, outre l’existence de sanctions pénales spécifiques, le contrat d'entreprise portant sur l’exécution de travaux pour lesquels l'entrepreneur ne dispose pas des accès à la profession sera frappé de nullité absolue.
Lors d’un arrêt du 28 avril 2017, la Cour d’appel de Bruxelles a précisé que « la sanction de la nullité absolue est généralement justifiée par le souci de ne pas laisser des personnes incompétentes édifier des constructions qui risquent ultérieurement de mettre en danger la vie ou la santé des habitants ou des personnes s’approchant de ces ouvrages » [3].
L'annulation du contrat opère avec effet rétroactif ce qui signifie que le juge devra replacer les parties dans la situation qui était la leur avant la signature du contrat d’entreprise, comme si le contrat n’avait jamais existé.
En pratique, le juge ordonnera la restitution réciproque des prestations accomplies en exécution du contrat annulé : l’entrepreneur remboursera les acomptes versés par le maître de l'ouvrage, tandis que ce dernier restituera par équivalent la valeur des travaux qui ont déjà été partiellement ou totalement exécutés [4].
En ce qui concerne la restitution par équivalent de la valeur des travaux, il est généralement fait application du principe de l'enrichissement sans cause [5] :

Autrement dit, « le maître de l’ouvrage doit payer le prix des travaux en proportion de leur valeur réelle, déduction faite du bénéfice de l’entrepreneur et des malfaçons éventuelles » [6].
Par application de l’adage « In pari causa turpitudinis cessat repetitio », le juge a toutefois la faculté de déroger totalement ou partiellement à l'obligation de restitutions réciproques découlant normalement de l'annulation du contrat [7].
S'il apparaît des particularités de la cause que l’avantage reconnu à l’un des contractants compromet le caractère préventif de la sanction de nullité, ou que l'ordre social et l'équité exigent que l'un des cocontractants soit plus sévèrement sanctionné, le juge pourra ainsi refuser d'accorder tout ou partie des restitutions soit aux deux, soit à l'un des cocontractants [8].
A cet égard, la jurisprudence tend à considérer que l’entrepreneur doit être plus sévèrement sanctionné s’il « a sciemment conclu un contrat d’entreprise et réalisé des travaux en sachant qu’il n’avait pas les accès à la profession requis » [9]. Inversement, si le maître de l’ouvrage était lui-aussi conscient de signer un contrat d’entreprise avec un entrepreneur ne disposant pas des accès à la profession, ou s’il ne pouvait l’ignorer compte tenu de sa propre qualité de professionnel compétent en matière de construction, la sanction résultant de la nullité pourra être neutralisée, voire partagée entre les parties.
En conclusion, le juge dispose d‘un large pouvoir d'appréciation concernant l’opportunité et l’étendue de la répétition. Il reste libre de prononcer la condamnation qu’il estime la plus appropriée au cas qui lui est soumis en tenant compte de tous les éléments de la cause.
Mentionnons enfin que, conformément à l’adage « Nemo auditur propriam turpitudinem suam allegans », nul ne peut se prévaloir en justice de l’exécution d'une convention contraire à l'ordre public, ni en tirer de quelconques effets juridiques.
Par conséquent, si le contrat d’entreprise est déclaré nul, le maître de l'ouvrage ne pourra exercer une action en responsabilité contractuelle contre l'entrepreneur du chef de vices ou de retards dans l’exécution des travaux. Pareillement, l’entrepreneur ne pourra faire valoir un dédommagement pour le manque à gagner consécutif à la rupture anticipée du contrat, ou réclamer la moindre indemnité fondée sur le contrat d'entreprise.

4. Et l’architecte dans tout ça ?

Lors d’un arrêt du 6 janvier 2012, la Cour de cassation a rappelé que conformément à l’article 22 du règlement de déontologie, le devoir d’assister et de conseiller le maître de l’ouvrage oblige notamment l’architecte à prévenir, informer et conseiller celui-ci concernant « la réglementation relative à l’accès à la profession et les conséquences qui peuvent en résulter » et que « ces dispositions étant d’ordre public, l’article 6 du Code civil interdit d’y déroger par convention particulière » [10].
L’architecte qui s’abstient de respecter son obligation de conseil et d’assistance commet une faute, laquelle est susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle et d’entrainer la résolution du contrat d’architecture à ses torts.
La Cour d’appel de Mons s’est montrée d’autant plus sévère en déclarant nulle pour violation de l’ordre public, la clause mettant à charge du maître de l’ouvrage l’obligation de vérifier l’accès à la profession des entrepreneurs pressentis « car l’architecte avait l’obligation d’effectuer cette vérification lui-même, sans pouvoir la déléguer, car cette obligation touche à la sécurité des personnes » [11].
Si cette décision est critiquable à certains égards, la prudence reste néanmoins de mise.

 

Melody De Nys

 

 

[1] Bruxelles, 29 mai 2009, L'Entreprise et le Droit, 2010, p. 454 suivi d'une note de C. Wijnants, « Nullité du contrat d'entreprise pour violation des règles d'accès à la profession : rappel des principes ».

[2] Cass. 27 septembre 2018, J.T., 2019, liv. 6779-6780, 528.

[3] Bruxelles, 28 avril 2017, RG 2016/AR/1922, inédit.

[4] Cass., 21 mai 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1712.

[5] Tribunal civil du Brabant wallon, 05/09/2014, R&J, 2014/4, p. 363 ; Cour d’appel de Liège – Arrêt n° F-20180504-5 (2016/RG/484) du 4 mai 2018, 06/05/2019, www.juridat.be.

[6] Cour d'Appel - Arrêt n° F-20160329-1 (2014/RG/907 (2ème chambre)) du 29 mars 2016 © Juridat, 11/07/2018, www.juridat.be.

[7] A. Delvaux et B. de Cocqueau, « L'ordre public en droit de la construction : un concept aux multiples ramifications», in Droit de la construction, CUP, vol. 166, pp. 20-23.

[8] Cour de Cassation - arrêt n° F-19760924-2 du 24 septembre 1976 © Juridat, 07/12/2009, www.juridat.be.

[9] Cour d’appel de Liège – Arrêt n° F-20180504-5 (2016/RG/484) du 4 mai 2018, 06/05/2019, www.juridat.be.

[10] Cass. (1re ch., F.), 06/01/2012, C.10.0182.F., Lar. Cass., 2012/5, p. 101.

[11] Mons, 2014/RG/907, 2ème chambre, 29 mars 2016 – f – 20160329-1. 

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